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10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 13:07

Le côté pile de l’amitié

 

            Les rouages profonds des choses de l’univers étaient en marche et n’auraient pu être déviés par la moindre parcelle de conscience issue de quoi que ce soit.

            C’était ainsi. Au point que tout prédéterminisme qui se respecterait n’y aurait rien compris.

            Le réveil fou gisait aux pieds du Camion et du dieu fou.

            Il ne se lisserait plus les aiguilles, ne se les enfoncerait plus dans le gras de la minute pour vérifier qu’il rêvait. Le réveil fou était aussi inerte qu’il l’avait été maintes fois au cours de sa vie de réveil fou.

            Et le dieu fou était malheureux. D’un malheur aussi vrai que s’il avait perdu un ami – toute ressemblance avec un malheur qui aurait déjà existé ne serait pas le fruit du hasard, et ce malheur-ci pourrait même ne pas exister que ce serait pareil.

            Le dieu fou était très malheureux. Sans regrets, sans remords, car tout ce qu’il avait vécu avec le réveil fou était aussi important que ce qu’il n’avait pas vécu.

            Il se souvenait, alors qu’il avait à peu près le même nombre de doutes que de certitudes, des moments que le réveil fou avait pris à son propre compte afin qu’il – le dieu fou ou le réveil fou ? – puisse parfois rester encore plus longtemps avec Dominique. Ainsi que les arguments qu’il – le réveil fou – employait pour cela : « Il fait froid dehors ! », « Le mois de mai n’est pas l’aurore ! », « J’ai bien entendu la nuit tomber mais pas le reste ! », « Y’a pas que le jour qui pointe ! », « L’escalier descend aussi ! »…

Le dieu fou ne se rappelait pas de tout mais il était touché profond :

« Que le paradis des réveils t’accueille et qu’il te donne une chambre où le mal de mer est interdit de séjour, avec vue sur le temps qui passe au loin et vient boire un coup avec toi. Il te racontera comment s’aiment les réveils avec des ailes partout et des saints qui ne changent pas tous les jours. Il te présentera ta Dominique avec tout ce qu’elle avait déjà avant qu’elle ne te rencontre. Il te dira que le repos que tu avais déjà pris, tu avais raison de le prendre. Que les pigeons, c’étaient pas des anges. Que la plume n’était pas à l’aiguille ce que la botte de foin était à l’amour – même quand ça se passait bien. Que des statues, on n’en avait jamais fait pour les réveils, aussi inconnus soient-ils, et que comme tu avais vécu dans l’anonymat le plus serein, tu ferais bien de continuer avant qu’un savant fou ne te capture, même là-haut, et te fasse écrire tes mémoires.

Repose en paix, compagnon de tous les voyages et comme tu l’as fait parfois ici-bas, ne m’attends surtout pas. »


Le Camion ne disait rien.

Lui, qui connaissait pas mal de choses de la vie, savait qu’il n’avait écrasé que les orteils du réveil fou.

                                                          (Suite...)


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