Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 11:33

 Le dieu fou n’était peut-être pas aussi fou que ça

 

 

            Le Camion sentait le dieu fou tapi à l’arrière, recroquevillé de la tête, le sourcil crispé sur une paupière écrue arquée comme un cierge creux contre un œil intérieur qui cahin-caha le poursuivait depuis le berceau.

            Le tombeau ne pouvait pas être plus près.

            Les larmes déjà taries par la fièvre au regard enchevêtré froid, les tympans tonnant des galops au pouls happé par la phtisie de l’âme, le dieu fou s’en serait remis à un saint autiste – judas écartelé net sur le billot vain de la raison.

            La nausée lui chassait les yeux jusqu’aux poils des oreilles enfonçant par là le moindre cri du clou sauvagement frappé sur sa tête et qui se tord sur la pierre du calvaire ou sur l’acier de la lucidité par qui sifflent les serments reniés, des salives prédatrices et dissonantes, arythmées de cuivre incohérents aux sucs incréés d’où sourd une tétanie vagabonde, tâtonnante de crampes en crampes au fil des nerfs, aigres remugles en vol de scalpels incisant vifs le jour en une nuit collée à la plèvre de l’angoisse moite et verte pompant le poumon et sa tumeur vers les pores dilatés de la gorge garrottée par ses propres cordes vocales, phosphènes aphones des fureurs tues, contractions torves sur fond d’agonie chronique où la couche maigre du sommeil est un lit de gravier à l’écoulement ambigu, sournois.

 

            Quand Dominique, qui voulait changer les idées au dieu fou, lui demanda : « Tu viens ? »

            Il dit : « Oui. »

                                  (...suite)

Partager cet article
Repost0
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 11:24

On peut venir ?


            La route avait ce soir-là, le macadam soigné des grandes sorties – maquillage rehaussé à droite et au milieu par le fondu gris perle noire du goudron.

            Elle révélait, sous le phare attentif du Camion, d’insoupçonnables ressources quant aux chemins qu’elle pouvait emprunter sur les voies – parfois pénétrables – de la séduction.

            Le Camion était inquiet :

            « Qu’est-ce qu’elle va encore me demander ? » se disait-il avec une circonspection qu’il n’avait acquise que depuis un certain temps (c’était lors d’une nuit mal signalée entre le mois de mai et l’aurore, la route lui avait demandé d’aller chercher Dominique qui se trouvait à cette époque dans sa baignoire, et la baignoire, elle était loin. Surtout que quand il était arrivé dans cette baignoire, elle lui ressemblait beaucoup à Dominique – pas la baignoire, Dominique ! – mais c’était pas Dominique qu’il y avait dedans !)

            Le Camion se disait donc :

            « Qu’est-ce qu’elle va encore me demander ? » et tâtait le terrain d’un pneu certes circonspect mais malgré tout intéressé, parce qu’en fait le coup de la baignoire où il n’y avait pas Dominique l’avait beaucoup amusé et que ce serait à recommencer, il aimerait bien vérifier si c’était pas non plus Dominique. D’autant que ce serait rigolo aussi si c’était Dominique. Il est vrai que le Camion aimait bien Dominique. Et puis elle lui donnait l’occasion de se moquer du réveil fou qui avait le mal de mer quand le dieu fou l’aimait vraiment – à Dominique ! – même si le réveil fou avait quand même le mal de mer quand c’était pas Dominique.

            De toute façon à cet instant, le réveil fou se reposait, le dieu fou – quitte à être égal à lui-même – se ressemblait et la route conduisait le Camion vers une destination de plus en plus inconnue de tous…

            C’est alors que, aussi délicieusement qu’il est permis à un instant d’être délicieux, le Camion s’arrêta, le dieu fou aussi, le réveil fou ne put faire autrement puisqu’il avait déjà commencé avant, et la route, mystère de la destinée à la croisée des chemins, s’enfonça dans la nuit la plus douce, la plus tendre et de la plus énigmatique façon connue de mémoire de route.

                            (...suite )


Partager cet article
Repost0
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 10:00

  …et le septième jour…

 

 

            Le dieu fou, encore plus fou que d’habitude, piétinait sa colère à grands cris :

            « Alors toi, tu crois qu’une femme c’est comme une dépanneuse ! Non mais, tu veux me faire passer pour quoi !?...déjà que… »

            Le Camion avait les bronches aussi coincées que lors de son dernier rhume.

            « Bon, c’est vrai que des fois c’est vrai », continua le dieu fou d’une voix radoucie, « mais c’est pas une raison ! » hurla t’il.

            « Tu veux que je te fasse une exégèse du trottoir, toi qui es tout le temps collé contre ? »

            Eh ! et lui, il la rencontrait où Dominique, sur les arbres ?

            Tout en s’étranglant, le dieu fou se mit au volant du Camion et ils s’enfuirent tous les deux vers des contrées moins chargées d’opprobres à venir.

            La route étant parfois ce qu’elle est, il neigeait. Bas. Même en descente. Le Camion ronronnait dans sa torpeur habituelle en se disant que de toutes façons, il n’en était pas à une dépanneuse près.

            Et les flocons tombaient. Et les panneaux défilaient : « Danger : chute de pierres » - « Chute d’arbres » - « Chute de neige » - « de grêle » - « de pluie » - « de verglas » - « de vaches » - « de gazelles » - « d’avions »…

            Et quand le Camion vit : « Danger : chute en contrepet », il ne fit aucune remarque au dieu fou, mais se dit :

            « Bof ! Qu’importe la pente pourvu que fonde la neige !... »

                                                       (...suite )
Partager cet article
Repost0
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 09:57

Merci, le temps !

 

            Le réveil fou, une grosse bosse sur le front, se tâtait les côtes. Il demanda au Camion quelle heure pouvait-il être et comme celui-ci était encore vexé du jeu de mots affreux que lui avait servi le réveil fou, il ne lui répondit pas.

            Le réveil fou, aussi fou que le dieu fou, ne s’affola pas. A un moment ou à un autre, il rattraperait bien le temps qui passait, et même si c’était l’inverse, il verrait plus tard. L’important c’était d’être à l’heure.

            L’ennui – il y en avait quand même un – c’était qu’il ne savait plus du tout ce qu’il avait à faire et hésitait, à juste titre, à le demander au Camion. Lui, il suivait sa route avec la fidélité de l’amant qui n’a plus de maîtresses et qui jouit d’un repos, sinon mérité, à tout le moins exquisément consommable.

            Le réveil fou se demandait même si, entre le Camion et la route, il n’y avait pas quelque chose qu’il n’avait pas bien compris…

            Sur ce, il se demanda aussi s’il avait vraiment quelque chose à faire – question à laquelle il ne répondit pas plus qu’à la première qu’il s’était posé (pour mémoire : qu’est-ce qu’il avait à faire ?)

            Il ne se rappelait pas que le dieu fou lui ait dit quoi que ce soit à propos de quoi que ce soit, ni même, comme d’habitude, à propos de n’importe quoi, et c’est alors que le réveil fou se rappela que c’était selon l’approche réciproque de l’incompréhension mutuelle qu’il décidait si oui ou non le dieu fou lui avait dit quelque chose.

            Le réveil fou se sentit soulagé, mais ça ne changeait rien à ce qui allait suivre.

            Et ça a suivi.

            Jusqu’à ce que le temps passe et s’arrête auprès du réveil fou, histoire de le remonter.

                                                    (...suite)

 

                                            
Partager cet article
Repost0
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 09:00

Mais, quelle heure est-il… ?


 

            Le réveil fou, pour passer le temps, se lissait les aiguilles et il trouvait ça très agréable.

            Il les prenait une à une dans ses petites mains agiles, se les mettait dans le bec, suçait tout ce qu’il pouvait sucer et puis il les remettait en place. Comme il l’avait vu faire par les pigeons sur la place du marché la semaine dernière.

            Il se plaisait à rêver à la prochaine paire d’ailes que le dieu fou allait peut-être lui offrir à Noël, et comme il planait déjà pas mal, il était sûr de savoir s’en servir très vite et très bien, tout en se demandant pourquoi les pigeons ne savaient pas suspendre leur vol.

            Comme il se posait cette question subsidiaire à souhait, le compère du réveil fou, le temps, passa le voir, comme il le faisait parfois.

            Après la troisième bouteille vint la quatrième qui leur fit découvrir que l’hypoténuse des Bermudes avait été apprivoisée et qu’elle était au moins égale à Pythagore avec son lit au carré. Vieux souvenirs d’écoliers entre deux camarades qui se retrouvaient, Pythagore ayant été leur professeur préféré qui les avait suspendus tous les deux pour une durée vraiment indéterminée.

            Ils en étaient à ce stade de l’égarement mathématico-temporel quand le Camion voulut mettre un frein à tout ceci. Et le réveil fou de lui répondre :

            « Quand le frein est tiré, il faut le boire ! »

            Et, de fil en aiguille, la cinquième bouteille aurait pu parachever l’œuvre disciplinaire de Pythagore, si le dieu fou, d’un grand coup de poing sur la tête du réveil fou, n’avait remis les pendules à l’heure.

                                                                                     (...suite)

Partager cet article
Repost0
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 08:57

Amour, quand tu nous viens

 

                    Si l’amour était aveugle, le dieu fou était myope.

            Même au téléphone.

            Et le Camion, avec tout le bon sens populaire des camions, fredonnait d’une roue mutine, sur la route qui le conduisait où il allait, ce refrain – légèrement obsédant car il avait oublié les couplets – :

            « Amour à lunettes, pourquoi tu persévères ? »

            Heureusement que le Camion n’était pas à pied, il y a de temps de en temps des limites que le dieu fou ne franchit que parfois. Celle-ci n’en faisait pas partie… quoique – est-ce que ça aurait changé quelque chose au flou de la vision naturelle du dieu fou ?... Quoi de plus ressemblant à un flou flou qu’un flou flou ?

            Ce discernement que le Camion établit au bout d’un moment – un moment aussi précisément incertain était quelque chose de rare – éclaira la voie qui devait être tracée depuis un certain temps déjà, d’ailleurs il faisait nuit, et bien lui en prit – à la nuit – car ce jour-là le dieu fou aurait pu passer à côté sans se souvenir que l’amour était aveugle et la nuit amoureuse.

                                                            (...suite)

Partager cet article
Repost0
10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 08:56

Encore ?

           
            En bruit de fond, le cri rauque de l’amygdale sauvage répondait au feulement du pneu avec une telle inquiétude lascive qu’un caoutchouc pas mûr aurait pu se fondre dans la nuit la plus avancée sans que cela éveille, de la part de la prochaine aurore, la moindre prise de conscience du crépuscule à venir.

            L’implacabilité latente de la situation ajoutait sournoisement à l’angoisse ambiante une atmosphère étrange que n’auraient reniée ni chênes ni roseaux militant pour le droit à la différence.

            En effet, le Camion s’était plié à la volonté du destin qui, habilement quotidien – surtout la nuit – l’avait amené en cet endroit d’où il pouvait voir le bas de la rue qui tournait pour mieux monter. En haut de la rue, c’était pareil, sauf que pour monter c’était naturel, même si ça tournait aussi.

            Et le Camion, avec la faculté innée des camions, avait compris – aurait-il eu un phare poché et une porte cochère – que le côté borgne du passage louche que le dieu fou avait emprunté n’était pas dû au hasard !

            Dominique avait-elle encore déménagé ?...

            Le Camion, trouvant que c’était une question qu’il se posait trop souvent, décida de penser à autre chose. Ce qu’il fit très bien.

            Laissant errer son inattention sur tout ce qui pouvait le mériter, il en vint à remarquer quelques feuilles mortes de trottoirs et des platanes qui cachaient un lampadaire – tellement caché que le Camion se demanda si les lampadaires avaient un nez et que même s’ils en avaient un jusqu’où pouvaient-ils y voir.

            Il alla jusqu’à se demander comment un lampadaire myope pouvait travailler.

            Comme il n’en était pas à une solution près, il ne se dit rien de plus que tout ce qu’il avait déjà imaginé.

            C’est alors qu’il vit la boîte aux lettres.

            Juste aux pieds du lampadaire.

            Et la lumière jaillit… du Camion.

            Quoi d’étonnant à ce qu’un lampadaire fasse les yeux doux à une boîte aux lettres ?
                                                               
(...suite)                                                                                                              
Partager cet article
Repost0
9 mars 2008 7 09 /03 /mars /2008 16:19

Les scientifiques, mesurant le méthane dégagé par les vaches, prouvent au moins une chose : on peut paître et avoir pété.

Partager cet article
Repost0
9 mars 2008 7 09 /03 /mars /2008 13:53

Courrier-express

 

            A croire que le Camion était contaminé par le dieu fou ! (Alors que ce dernier, à ce moment précis, n’était pas plus fou que d’ordinaire – ce qui représentait malgré tout une performance certaine.)

            Le Camion s’était garé non seulement sur le trottoir mais presque sur une boîte aux lettres qui en était devenue couleur canari hépatique.

            Et le Camion ne voulait plus bouger !

            Le dieu fou n’en revenait pas de ne pas devenir plus fou encore ! – c’était peut-être impossible – ! De la tête à la queue du Camion, il avait tout vérifié – même l’invérifiable, ce qui ne le dérangeait nullement – tout était en état de marche, surtout l’essentiel : les roues, le moteur et le reste.

            Et le Camion était en panne !

            Même l’ésotérisme de la situation était dépassé par les arcanes fondamentaux du moteur à explosion. Le dieu fou était prêt à imaginer des tables tournantes enrhumées d’un mauvais courant d’air qui aurait eu de l’asthme, tout en décryptant les dernières paroles de la cinquième roue de la charrette accidentée qui se retrouve peinte en blanc dans le jardin du voisin qui en connaît un rayon sur le spiritisme.

            De toute façon le dieu fou ne croyait en rien – ou en tout.

            Si bien qu’il se rappela que le pragmatisme existait encore. Pragmatisme qui se résumait en deux mots : fourrière !

            Et si la fourrière n’était pas un danger pour les camions errants – on n’attrape pas les mouches au treuil hydraulique – elle le devenait pour les camions à l’arrêt.

            Après maintes démarches auprès des services qui auraient pu être concernés : le commissariat du coin, le bistro d’à côté, le garagiste fermé, le S.O.S. en braille, le dieu fou en était au même point mort que le Camion.

            Et ça aurait pu ne pas en finir puisque tout en était là.

            Les PTT apprirent beaucoup plus tard que les boîtes aux lettres ne pratiquaient pas la téléportation. Et le Camion n’aspirant qu’à quelque repos, ne le savait pas.

                                                                                     (... suite)

Partager cet article
Repost0
9 mars 2008 7 09 /03 /mars /2008 13:49

  Qualités


            « Quelles sont les qualités que tu me trouves, chéri ? »

            Qu’est-ce que ça pouvait vouloir bien dire ?...

            Depuis hier soir le Camion se posait cette question, sinon d’autres que le manque de réponse à la première n’impliquait qu’à posteriori.

            « Quelles sont les qualités que tu me trouves, chéri ? » avaient été les derniers mots de Dominique !...

            Les derniers mots que le Camion avait entendus, bien sûr, le reste se perdant dans une suite de sons mouillés, chuintant au ras des dents d’un ascenseur qui décolle.

            Le Camion réfléchissait au point mort et tout contact coupé avec l’extérieur vu qu’il se trouvait dans un parking tout aussi privé et couvert que l’avait été la suite de monts souillés, suintant au chas des dents d’un escalier qui racole.

            Et que même si c’était pas ça, c’était pour donner une image de la précision avec laquelle le Camion se penchait sur la question.

            Il se mit en code – de tête – afin de percer le brouillard de son incompréhension.

            La lumière qui en résulta aurait pu éblouir la compréhension de l’Univers sans que celle-ci s’en aperçoive.

            Des qualités ?... ! (…) du côté performant : une bonne assise sur des pointes de vitesse suffisamment souples mais fermes en côte et même en descente, dans un confort où il y a tout ce qu’il faut partout, et devant et derrière, avec les rétroviseurs panoramiques à droite, à gauche et au milieu, les pneus imperméables mais pas trop pour pas que ça déjante, la crémaillère non voilée dans son approche du volant, et le fin du fin, l’antenne parabolique qui fouille les zones peu fréquentées !

            Le Camion se demandait même si… le radar… ?...

            Le sonar… ???...

            Des qualités ?... ! (…) du côté sécurité : les freins bien sûr, mais il avait les mâchoires si souvent humides qu’il se demandait… si le parachute… ?

            Il voyait pas bien quoi rajouter, à part les maladies qu’il pouvait contracter à tout moment par trop grande chaleur ou par froidure extrême.

            Il trouvait aussi, apparent paradoxe, que le quat’ quatre était plus sûr et plus attrayant.

            Il en était là de ses réflexions quand le dieu fou, l’air aussi hagard que d’habitude, le rejoignit.

            Dominique était restée près de l’ascenseur :

            « Je crois que tu les as trouvées » dit-elle en forçant la voix. Le dieu fou répondit par deux coups de klaxon qui, dans ce parking souterrain, retentirent comme trois cornes de brume en plein théâtre.

           
Même à l’oreille, le Camion n’y comprenait rien.   

                                                                                (…suite)


Partager cet article
Repost0